[Ancien musée de peinture de Grenoble. Exposition...

[Ancien musée de peinture de Grenoble. Exposition Christian Boltanski]
droitsCreative Commons - Paternité. Pas d'utilisation commerciale. Pas de modification.
localisationBibliothèque municipale de Lyon / P0741 FIGRP03352 005
technique1 photographie négative : noir et blanc ; 6 x 6 cm
descriptionAdresse de prise de vue : Ancien musée de peinture de Grenoble, 9, place de Verdun, 38000 Grenoble.
historiqueIl y a vingt ans, Christian Boltanski collectionnait les fétiches et les traces de ses pratiques enfantines, mimait la démarche de l'ethnologue en réunissant autour de sa personne une fausse documentation en vue de reconstituer sa jeunesse. Un beau jour, il disparaissait de la scène de son art, et laissait le champ aux autres. Les histoires qu'il s'appropriait étant celles de tout le monde, il passait le flambeau. Fin du stade du miroir ? De ces pièces anciennes, quelques-unes parmi les plus importantes ouvrent l'exposition consacrée à l'artiste au musée de Grenoble. C'est, de 1971, "Les 62 membres du Club Mickey en 1955", "Les habits de François C.", "Les vitrines de références" ; de 1972, "L'album de photographies de la famille D." Toutes pièces choisies à dessein d'indiquer la continuité entre ces premiers travaux et les suivants, "Les leçons de ténèbres" entamées en 1985. Des uns aux autres, deux constantes. Celle de la pratique de la photographie, et celle qui touche aux thèmes principaux du parcours de l'artiste. L'enfance perdue, le souvenir, la mort... Omniprésente dans son oeuvre, la mort en est en effet l'obsession fondamentale. L'enfance, le souvenir, n'en sont que des formes particulières. Si Boltanski s'intéresse à l'enfance, c'est, dit-il, parce qu'elle est la première chose qui meurt en nous. Nous sommes tous des enfants morts. Tournée en dérision autrefois, avec "Les morts pour rire", l'idée et les représentations de la mort se sont faites de plus en plus lancinantes. Ont adopté un caractère sacré que la théâtralité religieuse des mises en scène orchestrées par l'artiste affirme sans ambiguïté. Pour dire la mémoire et l'oubli, Christian Boltanski, dans ses Leçons de ténèbres, utilise le truchement d'accessoires limités. Lampes de bureaux, boîtes de biscuits rouillées, vêtements usagés, et, bien sûr, photographies. Dont on sait le rapport qu'elles entretiennent avec la mort. Il utilise aussi la lumière, transformant ses pièces et les salles des musées en théâtre d'ombres et de fantômes, quand ce n'est pas en chapelles, en mémoriaux. A rebours de l'art contemporain qui met un point d'honneur, semble-t-il, à se désincarner dans un intellectualisme froid, Boltanski cherche à émouvoir. Et il y réussit. Il bouleverse, oppresse même. Pour preuve, cette exposition dont il a, avec Serge Lemoine, conservateur du musée de Grenoble, médité chaque coin et recoin. Commencée dans la pleine lumière matérielle, elle s'enfonce dans la pénombre, conduit en apparence vers l'obscurité. En fait, méditation sur la mort, la souffrance, sur les notions d'innocence, de culpabilité et de mal, pleine d'images plastiques très fortes, c'est une descente en soi, un cheminement vers la clarté intérieure dont on ne sort pas indemne. Boltanski ne lésine pas sur les moyens de cette aventure plastique et spirituelle à laquelle il nous invite. Un rien manipulateur, mais jamais gratuit dans sa manipulation, il recourt au cérémonial et au rituel religieux autant qu'aux procédés de théâtre. Reliquaires, autels, offertoires, des niches illuminées ont même été créées dans le haut de la Bibliothèque, les Monuments de Boltanski dessinent d'arachnéennes arabesques architecturales sur les murs, évoquent la sainteté et le martyr. Les photos soigneusement mises sous verre deviennent des icônes, éclairées qu'elles sont toutes d'un halo électrique. Petites ampoules et lumière douce pour les Enfants de Dijon de 1985, lampes de bureaux scolaires pour les élèves du lycée juif Chases en 1933. Leurs visages d'adolescents, rendus flous par l'agrandissement, les orbites creuses, parfois, comme celles des morts, sont comme mangés par la lampe recourbée presque à toucher le verre, les dérobant à notre regard en même temps qu'elle les éclaire. Perte de la lisibilité, perte d'identité. Un Monument aux saints ; un autre aux martyrs, difficile en effet de ne pas songer à l'Holocauste devant les effigies de ces jeunes juifs allemands d'avant-guerre... Le mal, encore, et l'innocence, avec cette confrontation des victimes et de leurs bourreaux que sont les archives de l'année 1987 du journal "El Caso", ou bien "Réserve Détective". Trois cents boîtes métalliques posées sur des étagères avec, collée sur chacune, une photo non identifiée, et, à l'intérieur, des coupures en miettes extraites du journal. Un drôle de columbarium. A côté de ses morts violentes aux relents sordides, Boltanski a aussi imaginé (à chacun son humour) un monument à des gens ordinaires. Des gens qui n'ont aucune raison de mourir, des Suisses. Peut-être l'image la plus définitive qui nous renvoie à notre propre fin. Si même ces gens sans histoire meurent, c'est donc que nous aussi, nous mourrons. Furtivement, on sourit de cette démonstration imparable de notre finitude. Sourire vite figé... Comme la photo, le vêtement vide, négatif du corps qui l'a, un temps, habité, est, pour Boltanski, l'image même de la mort. Image choc que ce mur saturé sur toute sa surface d'une accumulation étouffante de vieux vêtements. Image qui joue là encore sur la mémoire historique, celle de l'Holocauste. Difficile en effet de ne pas voir en ces amoncellements, d'autres montagnes de vêtements, jouxtant, elles, des montagnes de squelettes. Contrairement à la plupart de ses congénères, Christian Boltanski n'est pas un artiste hermétique. Sa démarche mise sur l'émotion, utilise des codes qui relèvent d'une culture largement partagée, comme les rites religieux ou funéraires, fait appel à la mémoire populaire, individuelle et collective. C'est un artiste qui touche au coeur et à l'âme. C'est une oeuvre où il n'y a rien à comprendre a priori. Il suffit de se laisser pénétrer par cet univers de signes prégnants. Et de la sensation naît la réflexion. Source : "Lieux de mémoire" / Nelly Gabriel in Lyon Figaro, 5 février 1991, p.32.
note à l'exemplaireCe reportage photographique contient 39 négatifs.
note bibliographique"Christian Boltanski efface tout et reconstitue" in Lyon Libération, 9 février 1991.

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